L'art de la rentraiture et de la basse-lisse
- Sandrine Bronner
- 15 nov. 2017
- 5 min de lecture
Entre création et restauration, le cœur de Fabienne Higel Mailliard balance, doucement, au rythme des fils qu’elle passe dans son métier à tisser, dans un sens, puis dans l’autre, tel un métronome qui viendrait donner le tempo à une symphonie de savoir-faire, hérités des prestigieuses manufactures des Gobelins et autres tapisseries d’Aubusson.
La tapisserie fait à ce point partie de la vie de Fabienne qu’elle a installé son Atelier de la Trame dans sa propre maison. Le vaste salon accueille un impressionnant métier à tisser basse-lisse, fabriqué sur-mesure par un artisan d’Aubusson, et une pièce à l’étage est en grande partie occupée par les outils dédiés à la restauration. De son petit bout de Lorraine, perdu au cœur des Vosges près d’Epinal, Fabienne Higel-Mailliard perpétue une tradition plusieurs fois centenaire tout en s’attachant à lui donner ses lettres de noblesse de demain. Attirée très jeune par le textile, « sans doute parce que mon père travaillait dans ce secteur et que mon enfance a baigné dans les échantillons de textile en tout genre » nous explique Fabienne Higel-Maillard, elle s’est orientée vers les Beaux-Arts de Mulhouse puis les Arts Décoratifs de Strasbourg pour leur dimension artistique, plutôt que l’école d’Aubusson qu’elle jugeait trop technique. Aux Arts Déco de Strasbourg, elle intègre la classe d’un professeur des Gobelins, sa voie est tracée, la création de tapisseries devient son point d’horizon. Mais les chemins de la vie sont sinueux et au détour d’un emménagement à Paris, Fabienne découvre l’univers de la restauration qui occupe, encore aujourd’hui, une grande partie de son activité professionnelle. La rentraiture, un pont avec l’histoire « J’ai été embauchée dans un atelier de tapisserie, au Viaduc des Arts à Paris, par un artisan qui m’a appris le métier de la restauration. À ce moment-là, je travaillais surtout sur des tapis, parfois de grande valeur, en provenance du monde entier. J’ai acquis de nouvelles techniques, très différentes de la tapisserie, je me suis frottée à d’autres cultures de tissage, effectué un gros travail de recherche sur les couleurs pour restituer les pièces telles qu’à l’origine.». Dans l’atelier parisien, Fabienne acquiert une solide expertise de rentrayeuse. Elle apprend à raccommoder les étoffes avec un tel art que les coutures sont invisibles. Pour elle, la restauration est « une chose importante, c’est un lien avec l’histoire, je suis fière de redonner vie à des ouvrages qui ont parfois plusieurs siècles. ». Cette dimension patrimoniale, Fabienne Higel-Mailliard l’exprime par son adhésion à l’ARAAP, association des restaurateurs d’art et artisans du patrimoine en Lorraine dans laquelle elle se « sent bien ». « C’est pour moi l’occasion de rencontrer des restaurateurs d’autres disciplines. Les rencontres sont intéressantes et formatrices, et il y a une belle synergie au sein de notre cercle. Nous partageons des stands dans les expositions et notre clientèle est constituée des mêmes personnes, passionnées par la sauvegarde de leur patrimoine. ». La dimension relationnelle, autre facteur prégnant dans le domaine de la restauration. « La relation avec la clientèle qui a recours aux services de restaurateurs est exceptionnelle. Ce sont des personnes qui sont amoureuses de leur patrimoine, des belles choses, qui ont une certaine culture et sont admiratives des savoir-faire. On est toujours remercié, admiré. C’est très valorisant ! » nous indique la gérante de l’Atelier de la Trame. Également inscrite au répertoire des métiers d’art en Lorraine, elle a participé en novembre dernier au 20e Salon international du Patrimoine Culturel, au Carrousel du Louvre à Paris. La restauration, c’est aussi l’occasion pour Fabienne Higel-Mailliard de mettre à profit un don inné pour le sens des couleurs. Dans les pièces qui lui sont confiées, outre les déchirures, il faut souvent restaurer les soies, brûlées par le temps, qui tombent en poussière et dont les couleurs ont disparu. Pour ce faire, Fabienne s’appuie sur de solides connaissances en histoire des arts mais aussi sur sa faculté à trouver la teinte exacte, l’harmonie judicieuse. La matière est au cœur de son travail, elle choisit ses fils et ses matériaux avec une application extrême, toujours dans une quête de perfection et de volupté, tant au niveau du résultat visuel que du rendu au toucher. Seul bémol pour l’artisan d’art rentrayeuse, « le geste n’a pas de caractère exceptionnel dans la restauration, même s’il est appliqué, soigné, seul le résultat avant et après intervention sur la pièce est impressionnant. ». Cette frustration, Fabienne la dépasse grâce à sa seconde activité, la création de tapisseries. Lissière, un métier à tisser des images Durant toutes les années où la restauration a occupé son activité professionnelle, Fabienne Higel-Mailliard n’a jamais abandonné la création de tapisseries. Longtemps sur des miniatures, par manque de place. Mais depuis peu, l’artisan d’art a repris place sur un métier de basse-lisse, un métier à tisser à l’horizontal. Le bel, mais encombrant, outil permet des travaux beaucoup plus fins que les métiers de haute-lisse, souvent privilégiés pour leur empattement moindre. Lorsque Fabienne prend place sur le banc en bois intégré au métier, elle fait corps avec son outil. Elle se lance dans une chorégraphie qui demande, selon ses dires, « beaucoup d’acharnement ». Ses pieds entrent dans la danse, actionnant des pédales pour séparer les fils. Puis ses mains survolent la chaine, le geste accompagne le fil dans un sens puis dans l’autre pour donner naissance à l’image. Et Fabienne de nous confier son point fort : « je suis ambidextre, aussi agile des deux mains. Ce n’est pas négligeable car on fait partir le fil à gauche et on revient à droite, sans arrêt. C’est un geste qui doit être équilibré des deux côtés pour que le tissage soit régulier. C’est une aptitude naturelle qui m’a épargné les problèmes d’irrégularité du débutant, mais je l’ai travaillée. C’est un geste très répétitif mais qui procure une immense satisfaction. Et quand on voit l’image apparaître au fur et à mesure du travail, c’est presque magique. ». Donner naissance à une image par le biais du tissage, la passion de Fabienne Higel-Mailliard. Sa source d’inspiration ? Des photos, prises lors de ses balades. Flash, coup de cœur, la lissière vosgienne réalise des photos en noir et blanc. « C’est moi qui choisis les couleurs de ma création. Je cherche la couleur parfaite et la bonne association de teintes, mais sans forcément reproduire la réalité. » nous explique la gérante de l’Atelier de la Trame. Après avoir créé ses cartons et monté sa chaine, la lissière enchaine les heures et les mois de travail. Dans un souci de perfection, afin d’éviter les imperfections ou les nœuds apparents, Fabienne Higer-Mailliard tisse son ouvrage sur l’envers. « Mon travail, je ne le vois jamais en entier et toujours à l’envers. J’ai un petit miroir que je glisse sous ma chaine pour vérifier si j’ai bien passé ma laine, si mon dessin suit bien mon carton. Mais je ne vois le résultat qu’à la fin du tissage. Tout est enroulé sur le rouleau sur lequel je travaille. Au fur et à mesure que je travaille, j’enroule le tissage sur le rouleau qui est près du banc et je ne le déroule qu’à la fin, pour le couper et voir ma tapisserie. On appelle ça la tombée de tapisserie. C’est un moment magique. ». La tombée de tapisserie est une cérémonie, une véritable consécration à laquelle elle invite clients et proches. Déjà, elle se prend à imaginer ce que sera la prochaine tombée, celle d’une commande pour une chapelle située à Metz. Recommandée par la responsable de la restauration du musée de la Cour d’Or (Metz), la lissière s’est vue passer une commande pour la création d’une tapisserie de 2,70 m X 1,50 m. Le modèle et les cartons ont été réalisés par un peintre vitrailler. Une nouvelle aventure, une nouvelle tranche de vie pour cette héritière de savoir-faire rares.
Article publié sur Geste & Matière en mai 2015

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