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Jean Claude Condi, un luthier pas comme les autres

  • Photo du rédacteur: Sandrine Bronner
    Sandrine Bronner
  • 15 nov. 2017
  • 5 min de lecture

La lutherie est l’un des savoir-faire d’exception des métiers d’art en Lorraine. Depuis le 17e siècle, Mirecourt, dans les Vosges, est considérée comme l’une des capitales mondiales de la lutherie. Fabrication d’instruments de musique à cordes frottées et pincées, cette discipline ne produit pas que des violons, violoncelles ou autres guitares. Parfois, des instruments étranges et méconnus voient le jour dans les ateliers, à l’instar de celui de Jean-Claude Condi, fabricant de nyckelharpa.


La nyckelharpa est un instrument de musique traditionnel suédois. Instrument à cordes et à touches, il fait partie de la famille des vièles. Sa particularité est de posséder un clavier muni de quatre rangées de touches. Chaque touche dispose d’un sautereau (petite pièce de bois perpendiculaire à la touche) qui vient s’appuyer sur la corde pour en limiter la longueur vibrante. Munie de quatre cordes mélodiques, et donc frottées avec un archet, la nyckelharpa présente la particularité d’avoir en plus 12 cordes sympathiques qui n’entrent en vibration qu’en fonction des cordes jouées, par résonance. Ces cordes donnent au son de l’instrument une certaine “ampleur”, proche de la réverbération de certains lieux. Mais alors, quel rapport entre cet instrument suédois et un artisan luthier vosgien originaire de la Meuse ? La passion. Dès les années 70, Jean-Claude Condi se prend d’intérêt pour les musiques traditionnelles de tous horizons. Remises au goût du jour par des artistes en vogue comme Alan Stivel, elles retrouvent un public. Le soir, Jean-Claude Condi et ses amis font danser les amateurs de bal aux sons de ces musiques populaires. En journée, il travaille dans l’atelier de Louis Georgel, facteur d’épinettes (petite cithare à bourdon) dans la région de Gérardmer avant de se former à l’archèterie, à Mirecourt, auprès de Gilles Duhaut. Jusqu’à ce jour où, lors d’un concert du groupe Quatuor à Bar-le-Duc, sa ville natale, il découvre la nyckelharpa. C’est la révélation. Il est séduit à la fois par la sonorité et par la beauté esthétique de l’instrument, son architecture, son clavier… Il est envoûté. Les premiers instruments sortent enfin de son atelier dans le milieu des années 80. Depuis, son carnet de commande ne désemplit plus et le luthier est à la tête d’une petite équipe de trois personnes, dont un apprenti. Le partage et la transmission sont des valeurs fondamentales pour l’artisan. Bien sûr, l’instrument reste confidentiel en France, où l’on compte à peine 250 pratiquants, mais Jean-Claude Condi est un des rares fabricants dans l’Hexagone. De plus, grâce à internet, aujourd’hui ses clients sont originaires du monde entier. Pourtant, lorsqu’il s’est installé à son compte, l’aventure était loin d’être gagnée d’avance. Il était sans doute le seul à y croire. Lors de son stage à la Chambre des Métiers, on lui avait même conseillé d’en faire un passe-temps ! « Têtu comme une mule, j’ai décidé de me lancer tout de même et j’y suis arrivé, petit à petit. Ce n’est pas une activité hyper lucrative, je ne m’enrichis pas, je suis comme de nombreux artisans d’art, à la limite des possibles financièrement. Mais ça me convient comme ça. J’ai reçu le label Entreprise du Patrimoine Vivant. C’est une belle reconnaissance de mon travail même si mon public reste peu concerné par ce label. Dans mon activité un peu marginale, j’ai du mal à en mesurer l’impact. C’est surtout mon expérience, le fait que je sois en activité depuis plusieurs décennies, qui pousse les nouveaux clients à me faire confiance. Ce qui fait aussi ma réputation, ce sont les rapports que j’établis avec mes clients. Ils me font confiance, on devient presque amis. J’ai 300 ou 400 clients, je ne peux pas devenir ami avec tout le monde mais j’instaure systématiquement une relation privilégiée. Il y a une grosse part d’affect dans mon activité » nous explique Jean-Claude Condi. L’innovation au cœur de la tradition La nyckelharpa est apparue en Suède au 13e siècle. Depuis lors, l’instrument et son registre n’ont cessé d’évolué. À l’origine simple instrument à bourdon, une troisième puis une quatrième corde viennent enrichir l’instrument qui va devenir mélodique et avec lequel il va être possible de moduler. Depuis, l’instrument lui-même, mais aussi le répertoire ont beaucoup évolué. Selon Jean-Claude Condi, « il y a toute une pratique instrumentale en musique traditionnelle qui n’est pas du tout passéiste et qui n’est pas poussiéreuse. C’est une musique vivante, qui évolue. On pourrait la comparer au jazz. C’est une culture populaire en constante évolution, qui se modernise y compris dans la facture instrumentale. Il n’y a pas d’obligation à copier les instruments du passé. On peut se permettre de faire évoluer l’instrument, on a plus de liberté qu’avec un violon ou n’importe quel autre instrument présent dans les orchestres philharmoniques ». Jean-Claude Condi ne boude donc pas son plaisir lorsqu’il s’agit d’innover, tant au niveau de la forme (dans un souci d’ergonomie) que des matériaux. Sa matière de prédilection reste le bois mais chaque essence offre une sonorité particulière. Lorsqu’il réalise des instruments « académiques », il utilise l’érable et le sycomore pour la caisse et l’épicéa pour la table d’harmonie, comme dans la facture de violon. Parfois, il bouscule les codes et teste d’autres essences. Si l’épicéa reste incontournable pour la table d’harmonie du fait de sa résonance et de sa performance, il a expérimenté des essences telles que l’aulne, arbre fréquent en Suède, ou encore le frêne, le peuplier, ou le merisier. « Chaque instrument est perfectible, il n’y a pas que le bois qui donne la qualité du son. C’est la chance de la liberté des instruments de musique traditionnelle contrairement aux instruments dits classiques où le son est normalisé. Un violon en noyer ou en aulne sonnera différemment et aura peu de chance de plaire » explique l’artisan novateur. Et puis, de temps en temps, l’artisan se mue en apprenti sorcier et l’atelier prend des airs de laboratoire. Les matériaux innovants s’invitent sur l’image d’Épinal. Le luthier Mirecurtien s’intéresse de près aux matériaux composites qui pourraient se substituer à certains bois rares et protégés, comme l’ébène, dont il se sert pour fabriquer les hausses d’archets ou encore les touches. Les nouveaux procédés de fabrication comme le recours à l’imprimante 3D retiennent aussi tout son intérêt. Pour autant, il développe ces innovations avec une certaine prudence car l’image de l’instrument fabriqué de façon traditionnelle reste très prégnante dans l’esprit du public. Une certaine idée du luxe… « Des expériences ont déjà été faites avec du carbone et les résultats s’avèrent très satisfaisants. J’ai même vu sur internet un violoncelle réalisé en polystyrène. La qualité du son était vraiment surprenante. Ce n’est pas demain qu’on verra ce type d’instruments dans un philharmonique… mais moi je ne me ferme pas à ces innovations ! » nous confie Jean-Claude Condi.




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