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La sculpture ornemaniste chevillée au corps

  • Photo du rédacteur: Sandrine Bronner
    Sandrine Bronner
  • 23 oct. 2017
  • 4 min de lecture

Sculpteur ornemaniste originaire de Moselle, Emmanuel Bour travaille sur des essences indigènes comme le poirier, le buis, le tilleul, le lilas. À travers ses œuvres totémiques, il se questionne et nous questionne sur le monde, sur la place de l’homme, sur la place de la nature qui nous entoure.

Lire l'article publié sur Geste et Matière en juillet 2015

Le 1er juillet dernier, Emmanuel Bour remportait le concours régional Atelier d’Art de France pour la région Lorraine. Avec « J’ai dix ans », la pièce lauréate, le sculpteur sur bois ornemaniste mosellan nous transporte dans un voyage en réminiscence aux effluves de l’enfance grâce à un savoir-faire de grande qualité. « J’ai dix ans ». Un postulat séduisant, une incitation à l’introspection, une allégorie poétique. En présentant cette pièce à l’aspect très simple, presque primitif, au concours régional Atelier d’Art de France, Emmanuel Bour souhaitait rendre hommage au génie créatif de l’enfance, l’art le plus pur qui soit. Le défi était ambitieux, le résultat est magique. S’appuyant sur une maîtrise aiguisée des techniques de sculpture ornemaniste, l’artisan d’art donne à ses matériaux nobles l’apparence d’une réalisation enfantine faite à la va-vite à l’aide de matériaux futiles et communs. Fabriquée à partir de bois de poirier, de buis, de bouleau et de cendre de bouleau, sans l’aide de vis, colle ou autre adhésif, l’intention d’Emmanuel Bour à travers cette création n’était pas de se limiter à un trompe-l’œil, mais de générer un paradoxe, de bousculer le regardant dans sa perception de la réalité, de l’amener à se départir de ses a priori et de ses préjugés. Ici, la technique se met au service de la poésie. L’œuvre se fait universelle et le spectateur devient pleinement acteur. L’espace d’un instant, il retrouve son âme d’enfant. Les spécificités du métier d’ornemaniste Si Emmanuel Bour travaille le bois, c’est par plaisir des sens. C’est également pour répondre à un besoin. Celui d’être au plus près de la nature, y compris dans le travail. « La nature est essentielle pour moi, j’ai toujours vécu à la campagne, près de la forêt. C’est mon biotope. Physiquement et moralement, ma relation à la nature est très importante. À l’instar de la philosophie bouddhiste, je m’attache à en faire partie et non à l’exploiter » nous explique-t-il. Cette nature, il s’en inspire pour créer et s’en émerveille. Et entre ses mains expertes, la matière retrouve une seconde vie, les pièces de bois sont magnifiées. Il y a entre la matière et l’artisan d’art, une sorte de communion profane, un engagement quasi solennel scellé par le sceau du respect. La matière s’offre, s’abandonne sous ses doigts et l’artisan-artiste met en œuvre un processus technique et créatif pour la célébrer. « La spécificité de la sculpture ornemaniste consiste à utiliser une très grande variété de gouges, dont les cintres et les largeurs différents permettent de créer des états de surface d’une grande diversité et des détails très fins. Cette technique est utilisée depuis des siècles pour réaliser toutes sortes d’ornements, mais je la détourne de sa fonction purement décorative pour permettre la création de formes totalement libérées de toute contrainte stylistique » nous explique Emmanuel Bour. « En détournant les règles et les préceptes de la sculpture classique, je crée ma propre grammaire, mon propre langage. En changeant radicalement les codes esthétiques de l’ornementation, je ramène la sculpture sur bois à la réalité contemporaine. Dans la transgression des interdits de la technique de sculpture ornemaniste, comme le travail à contre-fil, l’arrachement ou l’utilisation de bois dont les traces d’altération et de sénescence rendraient toute utilisation impossible pour un ouvrage classique, je trouve des mots nouveaux, pour une autre poésie. En me libérant de mes atavismes professionnels, je me libère des préjugés qu’ils supposent et de la rusticité qui pourrait en résulter. Du bas-relief à la ronde-bosse La matière est naturellement au cœur de son travail, mais le geste est prépondérant dans le résultat final. Tantôt empreint de douceur, à la façon d’une fouille archéologique, notamment dans la conception de ses bas-reliefs, tantôt rude, presque violent lorsqu’il dicte ses volumes à l’aide d’une tronçonneuse pour créer ses rondes-bosses. Les bas-reliefs Les bas-reliefs sont créés à partir de pièces de bois abîmées qu’Emmanuel Bour ouvre en deux, en leur cœur, à la façon dont il ouvrirait un livre en son milieu. Happé par les entrailles de la pièce, l’artisan d’art explore ses défauts, la présence de vides, de fentes, diverses traces de sénescence et autres altérations. De cette « lecture »dépendra l’orientation de la sculpture. Le geste se fait minutieux, précautionneux. Emmanuel Bour nous livre l’histoire retenue secrète par la matière. Les rondes-bosses Ce sont des sculptures en trois dimensions que l’on peut regarder sous tous les angles. Emmanuel Bour travaille d’après un croquis pensé au préalable. Il impose ses volumes à la matière à l’aide d’une tronçonneuse. La violence est dans la rapidité du geste afin que la force de la création soit le reflet de l’imminence de l’idée. L’artiste prend le contre-pied de la technique ornemaniste qui demande du temps et de la finesse. Créations classiques ou contemporaines, la complémentarité Même si Emmanuel Bour s’est fait un nom grâce à ses créations contemporaines qu’il expose régulièrement en France et surtout en Allemagne, en Suisse ou encore en Autriche, dans ces pays où la tradition du bois brut est plus forte que dans l’Hexagone, il répond à de nombreuses commandes de pièces classiques pour des édifices religieux ou des musées. Ces commandes sont importantes bien évidemment d’un point de vue économique pour son entreprise puisqu’elles apportent la garantie d’une rétribution que la création artistique pure rend plus aléatoire, mais elles sont aussi source de plaisir pour l’artisan d’art qui voit dans les impératifs à respecter un défi intéressant.

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